Le désengagement en entreprise : causes, signes et solutions efficaces
Classiquement, le désengagement en entreprise désigne le processus par lequel un salarié perd progressivement sa motivation, son implication et son intérêt pour son travail. Ce phénomène, souvent silencieux, peut avoir des conséquences dramatiques sur la performance organisationnelle.
"L’engagement est quelque chose que l’employé choisit d’offrir : il ne peut être exigé comme une obligation contractuelle." (David Rock)
Ce qui vous attend dans cet article :
- des approches sociologiques et neuroscientifiques;
- le principe organisateur du cerveau et l'engagement;
- évaluer l'engagement, un modèle à cinq niveaux;
- l'engagement un équilibre;
- 5 signes que votre entreprise souffre de désengagement;
- des croyances générales sur le désengagement (et pourquoi elles sont fausses);
- les principales causes du désengagement en entreprise;
- les solutions souvent mises en place qui n'en sont pas;
- le cas du désengagement chez Google;
- des pistes de réflexion pour réengager les salariés
Perspectives sociologiques et neuroscientifiques de l'engagement et du désengagement
a) influence des systèmes cognitifs rapides et inconscients
Daniel Kahneman, psychologue et économiste, a montré que les décisions humaines sont largement influencées par des systèmes cognitifs rapides et inconscients.
Il a proposé le biais « erreur des coûts irrécupérables ».
Ce biais amène les personnes à continuer d’investir dans des projets dont les perspectives sont médiocres, parce qu’ils ont déjà consommé des ressources importantes.
Appliqué au monde du travail, cela donne un type d’engagement, l’engagement de continuation.
Les deux autres formes sont l’engagement affectif, et l’engagement normatif.
b) l'anomie
Un concept développé par le sociologue Emile Durheim
Ce terme désigne la situation résultant de règles sociales incompatibles entre elles ou qui sont inadaptées aux évolutions du marché, de la société, ou sociologiques.
Pour la genZ aujourd'hui, le rôle sociétal d'une entreprise est un facteur d'engagement.
Une autre approche se réfère à la consonance organisationnelle. C’est celle que j’utilise pour travailler sur la culture d’entreprise.
c) La base neuronale de l'engagement
David Rock, spécialiste en neurosciences s’est penché sur la base neuronale de l’engagement.
Il reprend une définition, issue d'un institut de recherche américain, selon lequel l'engagement est:
"Un lien émotionnel fort qu’un employé ressent envers son entreprise, et qui l’incite à fournir un effort discrétionnaire supplémentaire dans son travail." (Conference Board, 2006)
Une autre définition, provenant cette fois d’un institut de recherche britannique, le décrit comme:
"Une combinaison d’engagement envers l’organisation et de partage de ses valeurs, ainsi qu’une volonté d’aider ses collègues – ce que l’on appelle la 'citoyenneté organisationnelle'. Il va au-delà de la satisfaction professionnelle et ne se limite pas à la motivation. L’engagement est quelque chose que l’employé choisit d’offrir : il ne peut être exigé comme une obligation contractuelle." (CIPD, 2008)
Une personne engagée est plus apte à prendre des décisions et à résoudre des problèmes (Conference Board, 2006).
Le principe organisateur du cerveau comme explication de l'engagement
Le neuroscientifique Evian Gordon, dans l’une des plus grandes méta-analyses de recherches sur le cerveau, propose que le principe organisateur du cerveau est de minimiser le danger et maximiser la récompense (Gordon, 2008).
Dès lors, lorsqu’un individu est en état de récompense plutôt qu’en état de menace, il :
- dispose de plus de ressources cognitives (Arnsten, 1998),
- est généralement plus créatif (Friedman et Förster, 2001),
- résout davantage de problèmes grâce au phénomène d’"insight", essentiel pour la résolution de problèmes complexes (Jung-Beeman et al., 2009),
- propose plus d’idées et d’actions (Frederickson, 2001),
- a un champ perceptif plus large (Schmitz, De Rosa et Anderson, 2009).
Ce qui a été observé :
- un bon niveau de dopamine dans les réseaux d’attention exécutive et d’autorégulation;
- une activation du circuit de la récompense, comprenant :
- Le cortex préfrontal (siège de la planification et du contrôle).
- Le cortex cingulaire antérieur (ACC) (impliqué dans la gestion des conflits et des émotions).
- Le striatum (impliqué dans le plaisir et la motivation).
- une activation modérée du circuit de la menace, ce qui permet de travailler avec sérénité.
Evaluer l'engagement: un modèle à 5 niveaux
David Rock propose un modèle à cinq niveaux, qui sont liés à la réponse de menace/récompense , qu'il va appeler "état".
1er niveau : l'individu est désengagé activement, l'état de menace est de moyen à élevé
2ème niveau : l'individu est désengagé, l'état de menace est moyen
3ème niveau : l'individu est dans un engagement neutre, il est à mi-chemin entre un état de menace et un état de récompense
4ème niveau : l'individu est engagé, l'état de récompense est moyen
5ème niveau : l'individu est profondément engagé, l'état de récompense est élevé en moyenne
Selon lui, en atteignant un engagement profond, qui correspond à une forte réponse à la récompense, les dirigeants développent une forme de résilience face au stress du pouvoir.
Le "profond engagement" est un niveau souvent observé chez les entrepreneurs inspirants, les leaders visionnaires ou les individus qui réussissent particulièrement bien à mobiliser et engager les autres.
Il propose que le profond engagement survient lorsque les individus reçoivent des récompenses dans les cinq domaines du modèle SCARF. Une manière d’atteindre cet état est de réaliser des tâches perçues comme contribuant au bien commun, en améliorant une condition sociale quelconque.
Le scientifique s’est également attaché à déterminer les bases neuronales du désengagement.
Selon lui il pourrait être défini par le niveau moyen d’activation du circuit de la menace dans le cerveau.
Le circuit de la menace ne se limite pas à la peur. Il englobe toutes les réactions d’évitement, comme :
- la tristesse
- l’anxiété
- l’insécurité
- la dépression
- l’errance mentale (dans les cas extrêmes, cela peut aller jusqu'aux troubles du déficit de l’attention, TDA).
Or, même à des niveaux très faibles, l’activation du circuit de la menace peut avoir un effet inattendu (Friedman et Förster, 2001). Ainsi, un léger stimulus peut influencer l’individu de manière inconsciente et impacter ses capacités cognitives et son efficacité attentionnelle.
L'engagement un équilibre entre deux états
David Rock conclut que l’engagement pourrait reposer sur un équilibre entre la récompense et la menace, et propose cinq domaines fondamentaux qui influencent l’engagement en activant soit la récompense, soit la menace :
1) Status (Statut)
2) Certainty (Certitude)
3) Autonomy (Autonomie)
4) Relatedness (Relation aux autres)
5) Fairness (Équité)
Une classification bipartite de l'engagement
Ces cinq éléments sont des repères essentiels pour le cerveau humain, au même titre que le besoin de nourriture ou d’eau.
David Rock s’appuie sur des recherches en neurosciences affectives et cognitives pour évoquer qu’ils sont régulés par les mêmes circuits neuronaux (Lieberman, 2008).
Cela l’amène à faire valoir la classification suivante :
- Un employé engagé ressent des niveaux élevés de récompense dans ces cinq domaines.
- Un employé désengagé ressent des niveaux élevés de menace dans ces mêmes domaines.
"Ils sont là sans être là". Une phrase qui revient souvent chez les managers. Alors comment savoir si votre entreprise souffre de désengagement ?
5 signes qui montrent que votre entreprise souffre de désengagement
Le désengagement est un enjeu majeur d'une politique RH
De nombreuses croyances restent encore véhiculées aujourd'hui
01 "Les employés désengagés sont juste des fainéants."
Le désengagement est souvent réactionnel.
Les facteurs amenant au désengagement sont multiples.
Il est préférable d'avoir une approche systémique du manque d'implication des salariés.
02 "Il suffit d'augmenter les salaires."
L'argent est un facteur de motivation extrinsèque, mais l'engagement repose sur des facteurs intrinsèques (sens du travail, reconnaissance, relations).
Tout dépend en réalité de l'activité elle-même. Certaines activités sont peu compatibles avec une dimension intrinsèque de motivation.
03 "Il suffit de créer des espaces collaboratifs"
Ces espaces ne font pas naître l'engagement.
Ils n'améliorent pas forcément la discussion, laquelle peut être vécue comme forcée.
Les causes du désengagement sont multiples, et propres à chaque entreprise. Il existe toutefois des facteurs communs au désengagement.
Causes possibles du désengagement
01
Management perçu comme toxique
Un management toxique amène le salarié à un sentiment de dévalorisation. Il crée un véritable mal-être au travail.
02
L'absence de management
Un management absent conduit à des situations d'iniquités.
Le sentiment d'iniquité est un très gros vecteur de désengagement
03
Le manque de reconnaissance
La reconnaissance au travail préserve et améliore l'estime de soi sociale. Celle-ci résulte du contexte social dans lequel une personne progresse.
04
Une charge de travail excessive ou perçue comme telle
L'épuisement physique et mental conduit à une perte de motivation (burn-out)
05
L'ennui
Certaines personnes sont plus sensibles que d'autres à l'ennui.
De manière générale, on considère qu'il faut 20% de nouveauté par an.
06
Le manque de perspectives d'évolution
Certaines personnes sont motivées par le désir de réalisation de soi.
07
Valeurs et culture d'entreprise incohérentes
Les modes opératoires culturels doivent être cohérents avec les valeurs affichées.
08
Dissonance cognitive
Un salarié doit sentir que les valeurs et la culture d'entreprise lui correspondent.
09
Absence de perception de la finalité et non responsabilisation
Le salarié doit percevoir que ses missions sont utiles et s'inscrivent dans la vision de l'entreprise.
Il doit se sentir libre de laisser son empreinte dans sa manière de faire.
10
Dissonance cognitive
Un salarié doit sentir que les valeurs et la culture d'entreprise lui correspondent.
Ces solutions mises en place mais qui n'en sont pas sur le fond
- Multiplier les team buildings artificiels : ces événements sonnent souvent creux et sont vécus comme une contrainte
- Imposer des KPIs excessifs : trop de mesures de performance rigidifient le travail et créent du stress
- Sanctionner les salariés "désengagés", par exemple avec un tableau d'affichage des classements : la cause du désengagement demeure
- Multiplier les récompenses extrinsèques : le problème est juste différé, d'autant qu'il doit y avoir une gradation dans les récompenses, ce qui place l'entreprise dans une position difficile
- Rendre le travail "fun" à tout prix : La gamification forcée peut être infantilisante et inefficace
- Soigner l'environnement de travail : un cadre de travail agréable amène un confort mais ne crée pas l'engagement
- Introduire de la flexibilité dans les horaires de travail : il s'agit d'une motivation extrinsèque, elle est une condition d'acceptation de ses fonctions mais déplace la finalité (gagner en liberté)
- créer artificiellement des valeurs d'entreprise (qui ne sont pas incarnées au quotidien)
- faire des sondages, des enquêtes de bien-être au travail : quand elles ne sont suivies d'aucun effet, les salariés se sentent exclus de la décision. C'est pire que de ne pas se sentir écouté.
Le désengagement chez Google
En 2012, Google lance le projet Aristote, pour mieux comprendre le secret des équipes efficaces.
L'idée était d'observer comment se vérifier les propos du philosophe Grec: "le tout est plus grand que la somme des parties".
L'étude a porté sur 180 équipes.
Elle n'a pas démontré de facteurs liés aux données démographiques mais a relevé cinq facteurs communs à la performance d'une équipe :
- la sécurité psychologique;
- la dépendance;
- la clarté des rôles;
- le sens donné à l'activité;
- la contribution ou impact.
Les premières pistes simples de réflexion pour réengager les salariés
Améliorer la reconnaissance et le feedback
Privilégiez un simple "merci" à un silence.
Ne foncez pas tête baissée dans le feedback "constructif": celui-ci, mal approprié à la personne, a des conditions délétères.
Chacun doit pouvoir être valorisé dans sa différence.
Favoriser l'autonomie et la flexibilité
Donner du pouvoir dans la manière de faire, dans l'organisation de ses missions, à défaut de pouvoir donner du pouvoir dans la décision augmente l'engagement.
Introduire le sens dans vos pratiques managériales
Encouragez une culture du sens : expliquer comment chaque employé contribue à la mission globale.
Faites en sorte que chaque employé puisse trouver des liens de cause à effet entre ses activités et la manière dont il souhaite incarner ses valeurs.
Inviter les managers à se rendre disponibles et à faire preuve de clarté
Un bon leader engage plus qu'un bon système de primes.
Les rôles de chacun doivent être clairement définis, ainsi que les attentes et les objectifs.
Offrez de vraies perspectives d'évolution
Aujourd'hui les employés changent facilement d'entreprise, lorsque celle-ci ne leur offre pas d'opportunités de carrière.
Créez des opportunités de formation et d'évolution.
L'ennui s'installe dans la routine ?
Des missions bien maîtrisées peuvent être l'occasion de devenir le mentor d'un autre salarié.
Vous voulez intégrer vraiment les spécificités de votre entreprise ?
Pour un accompagnement qui intègre les spécificités de votre activité, les personnalités des membres de votre entreprise, son histoire, les modes opératoires culturels conscients et inconscients :
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